Déclaration d’Houjarray 2024

Le Conseil d’Administration de l’Association Jean Monnet a organisé son séminaire de prospective annuel, les « Houjarray Foresight Talks » avec le soutien de la Maison Jean Monnet (PE), du Think Tank Européen CEPS et de la revue ‘European Foreign Affairs Review’. Ce texte est le résultat des trois groupes de travail.

« La situation est grave mais pas désespérée« [1]

Appel à l’Action

L’Union européenne risque de se retrouver coincée dans une ornière. La stabilité géopolitique s’affaiblit, plusieurs paradigmes s’estompent et certaines interdépendances se sont révélées être des vulnérabilités. Le besoin de plus d’Europe augmente, mais la paralysie politique interne freine l’UE.

Chaque fois que Jean Monnet a été confronté à des problèmes nouveaux et difficiles, son premier acte a été de faire le point, d’établir ce qu’il a appelé un «bilan» qui a ouvert la voie à des solutions innovantes. Ces bilans étaient le résultat d’une étude approfondie, et non d’une négociation, et présentaient une «vue d’ensemble» des changements requis, avec des objectifs, des ressources disponibles et des contraintes à respecter.

Des bilans ont récemment été établis sur les risques climatiques par l’Agence européenne pour l’environnement, sur le marché intérieur par Enrico Letta, sur la compétitivité européenne par Mario Draghi, et des rapports sur la préparation civile et de défense, et l’avenir de la défense européenne par Sauli Niinistö sont à venir.

L’analyse est limpide : L’Europe a ses forces, mais elle est sur une voie dangereuse de déclin et de vulnérabilité. Compte tenu de la prolifération des rapports, la question demeure de savoir ce qui doit être prioritaire pour inverser la tendance actuelle. La réponse est simple : comme dans la vie, la sécurité passe en premier. L’UE devra investir massivement pour défendre son avenir et gérer les interdépendances mondiales à son avantage. Pour ce faire, il devra reconsidérer son modus operandi pour pouvoir prendre des décisions audacieuses.

Sur la base des discussions menées lors des Houjarray Foresight Talks 2024, qui se sont déroulées au cours du week-end de mi-septembre à la Maison Jean Monnet où la déclaration Schuman a été conçue, réunissant un large éventail d’experts et de citoyens de toute l’Europe (au-delà de l’UE), nous estimons que trois priorités méritent toute l’attention des nouveaux titulaires des institutions de l’UE.

Premièrement, nous appelons l’UE à continuer d’investir dans la gouvernance mondiale dans l’esprit de Jean Monnet et, lorsqu’elle examinera le débat sur l’autonomie européenne dans des secteurs d’importance stratégique, à ne pas oublier de rechercher la résilience et les interdépendances pour une création de valeur structurelle et durable. Cela signifie également continuer à y investir en renforçant le droit international et en établissant des partenariats inclusifs, en parlant de l’ordre « international » fondé sur des règles pour apaiser les sensibilités présentes dans plusieurs pays non occidentaux. Nous soulignons en outre que la stratégie «Global Gateway» est un instrument attrayant pour stimuler une prospérité durable dans le monde entier. Tirer parti des partenariats, par exemple avec des pays partageant les mêmes valeurs dans la région indo-pacifique, le centre de gravité économique croissant de la planète, contribuera à restaurer la réputation internationale de l’UE.

Deuxièmement, compte tenu de la fragilité de la prise de décision au sein de l’OTAN et afin de consolider l’ordre de sécurité européen et d’intégrer l’Ukraine et les autres pays candidats, l’UE devra devenir un garant de la sécurité à part entière. Cela nécessite de renforcer la force militaire, de définir une doctrine de dissuasion (y compris nucléaire), d’intégrer les préparatifs de l’élargissement et d’appliquer la conditionnalité d’une manière souple et fondée sur des principes.

Enfin, s’inspirant du plan Schuman initial, qui est un plan en un seul point qui stipule que «des mesures doivent être prises immédiatement sur un point limité mais décisif», nous devons nous demander: «Quelle est la ressource la plus essentielle du pouvoir économique aujourd’hui ? Quel est le plus grand potentiel de division et de destruction aujourd’hui ? Quel est le plus grand potentiel de communauté, de partage, de solidarité et de prospérité ? ». Notre réponse est claire : Les données et le talent sont le charbon et l’acier d’aujourd’hui ! 

Les données sont la ressource stratégique d’aujourd’hui. Sur ce point, l’UE est faible et fragmentée. Elle n’a pas d’industrie numérique majeure et s’appuie principalement sur des infrastructures de plateformes et des fournisseurs extérieurs à l’Europe. L’UE pourrait être un acteur plus fort et un organisme de normalisation si elle mettait en commun ses capacités au sein d’une Communauté numérique européenne (CDE) qui relie les citoyens. Faire ainsi progresser les talents, leur donner les moyens de donner un sens aux données et d’imaginer des solutions, c’est ce qui peut aider les pays européens à relever les nombreux défis auxquels ils sont confrontés aujourd’hui et demain.

C’est pourquoi, inspirés par le succès du premier comité d’action pour les États-Unis d’Europe, qui a contribué à la création de la CEE, à l’adhésion du Royaume-Uni, à la formalisation des réunions régulières du Conseil européen à partir de la fin de 1974 et à la première élection directe du Parlement européen, nous, membres de l’association Jean Monnet, travaillons en étroite collaboration avec d’autres partenaires européens à une nouvelle initiative de la société civile visant à relancer un comité d’action avec la participation directe de responsables politiques et de hauts fonctionnaires afin de promouvoir une accélération du processus d’intégration européenne que nous jugeons nécessaire pour relever efficacement les défis auxquels nous sommes confrontés.

Cinquante ans après la conclusion réussie du «Comité Monnet», dont le successeur dans les années 1980 sous la direction de Max Kohnstamm a joué un rôle notable dans la réalisation du marché unique, nous pensons que le moment est venu pour un troisième comité d’action de définir la prochaine étape du processus d’intégration européenne.

Houjarray & Brussels, September 30, 2024.