Les défis de l’Union Européenne au niveau international

Europe

16 mai 2023


Les défis de l'Union Européenne au niveau international

Pr. Umberto TRIULZI

Université de Rome “La Sapienza”

La réflexion que je propose aujourd’hui à l’association Jean Monnet traite d’un sujet à forte valeur stratégique pour le rôle que joue l’UE au niveau international. Dans les mois et les années à venir, l’UE devra faire face à des défis d’une grande intensité et d’une importance mondiale: réduire la pauvreté et les inégalités, promouvoir une croissance économique compatible avec la protection de l’environnement, de la santé, du travail décent, de l’égalité des sexes, promouvoir l’indépendance énergétique, l’innovation, la sécurité, la défense de la démocratie et des droits de l’homme. Des défis qui placeront l’UE en concurrence avec les grandes puissances industrielles et technologiques mondiales, à commencer par les États-Unis et la Chine.

Mais l’UE devra aussi faire face à des États de moindre poids économique mais très déterminés à affirmer leur présence politique et militaire, à commencer par la Russie, la Turquie et l’Iran, dans une région à la périphérie de la Méditerranée et de l’Europe de l’Est qui intéresse traditionnellement l’Europe européenne mais où, en raison du changement de stratégie de la politique étrangère américaine et de l’incohérence des politiques de coopération européennes, se sont manifestées de nouvelles alliances géopolitiques et des rivalités anciennes et nouvelles qui menacent la sécurité de l’UE.

Dans un contexte de relations internationales et géopolitiques particulièrement critiques et encore dégradées par les phénomènes protectionnistes liées à la guerre commerciale américano-chinoise, les effets d’une pandémie de Covid-19 pas encore vaincue en Europe et dans le monde, la guerre de la Russie en l’Ukraine avec des répercussions humaines et économiques dévastatrices, nous devons nous demander quel rôle l’UE peut jouer pour garantir les objectifs non seulement d’une reprise durable équitable et inclusive, mais aussi la restauration des principes démocratiques, du respect des droits de l’homme et des règles partagées qui ont favorisé en Europe et dans les principales économies occidentales, le développement économique enregistré au cours des 60 dernières années.

La réponse à cette question nécessite tout d’abord d’analyser les politiques décidées par l’UE et les États membres pour faire face aux événements tragiques enregistrés en particulier au cours des trois dernières années. Elles sont sans précédent dans l’histoire économique récente de par leurs intensités la dimension de leurs impacts et par leurs caractéristiques. En effet, enquêter sur ces événements conduit à mettre en évidence la différence substantielle que l’on trouve, et pas seulement en Europe, dans les politiques mises en place pour surmonter les crises les plus récentes par rapport à celles activées suite à la grande crise financière des années 2007-2008. Expliquons les raisons.

La contraction économique induite par la pandémie de Covid-19 (janvier 2020) et la hausse des prix de l’énergie suite à la guerre déclenchée par la Russie avec l’invasion de l’Ukraine (février 2022) sont des phénomènes économiques largement induits par les politiques mises en place par les pays avancés pour faire face à ces crises. Pour empêcher la propagation du Covid-19, les autorités politiques des États les plus touchés par cette épidémie sont intervenues avec la fermeture de toutes les activités économiques, productives, commerciales et touristiques et donc la baisse des revenus et de la consommation, l’impact négatif sur l’emploi, l’augmentation du nombre de nouveaux pauvres, la détérioration de la qualité de vie des tous.

Pour faire renoncer la Russie à l' »opération militaire spéciale » en Ukraine, l’UE et de nombreuses autres économies avancées, telles que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Australie, ont introduit des sanctions économiques et d’autres mesures restrictives d’ordre commercial et financier avec l’intention d’affaiblir la capacité de la Russie à financer la guerre en affectant des secteurs vitaux de l’économie (principalement l’industrie extractive) et les intérêts de l’oligarchie russe. L’effet immédiat de ces politiques a été de provoquer, en raison de la contraction des approvisionnements en gaz russe vers l’Europe (-40% en 2021 ; -45,5 % en 2022) de forts mouvements spéculatifs sur le marché européen du gaz, l’augmentation des prix de l’énergie et d’autres matières premières et semi-produits importants, d’où la reprise de l’inflation, le ralentissement de l’économie et des échanges, et pour certains pays européens le début de phases récessives.

Y avait-il des mesures alternatives ?

Des événements dramatiques se sont produits ces deux dernières années et ont entraîné des coûts économiques et sociaux importants dans la plupart des États avancés, et pas seulement dans l’économie russe qui a été sanctionnée. Des mesures alternatives auraient-elles pu être prises ?

Dans le cas de la pandémie, il était difficile d’imaginer des solutions alternatives au lockdown, même si les mesures adoptées par les États les plus touchés par la pandémie, en Europe comme dans le reste du monde, n’ont pas toujours été cohérentes et coordonnées. D’où les erreurs de la phase initiale de diffusion du Covid-19 avec la pénurie de médicaments et de produits de santé nécessaires pour se protéger, les retards dans les interventions à activer, l’engorgement des hôpitaux et les contestations croissantes autour des Novax. Le choc du côté de l’offre et de la demande induit par les mesures restrictives adoptées était inévitable mais il faut aussi ajouter, et c’est la note positive pour les États membres de l’UE, que la réaction déclenchée par les autorités nationales et européennes pour l’approvisionnement des vaccins anti-Covid et les campagnes de vaccination ultérieures, la coordination mise en place par l’UE et les États membres pour renforcer les systèmes de santé nationaux et protéger la santé des citoyens (distanciation sociale, fermeture des écoles, des usines de production et des magasins, smart working) ont contribué à contenir la propagation du virus, à sauver des vies et soutenir, avec les fonds de la Next Generation EU activés par l’UE, la relance économique des pays de l’Union et aussi faciliter la transition écologique et digitale.

Les sanctions et les mesures restrictives activées contre la Russie, parmi les plus imposantes et les plus nombreuses imposées à une grande puissance depuis la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas atteint l’objectif recherché, la faire renoncer à poursuivre la guerre en Ukraine. L’histoire enseigne que ces mesures, activées individuellement par des États et/ou par des organisations internationales, peuvent produire des coûts économiques importants pour les économies de l’État qui a commis des crimes graves mais ne modifient pas son comportement ou n’empêchent pas des conséquences encore plus importantes et dramatiques à l’échelle mondiale. Cela s’est produit avec les sanctions décidées par la Société des Nations après l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie (1935), suspendu après seulement sept mois en raison de la réticence de nombreux États membres à les appliquer et de l’absence d’obligations formelles de les respecter. Cela arrivera plus tard avec les sanctions internationales contre l’Irak après l’invasion du Koweït et dans de nombreuses autres situations dans lesquelles l’application de sanctions décidées par l’ONU ou par des États individuels contre ceux qui avaient violé les obligations internationales se sont révélées inefficaces comme outils de dissuasion.

Le Peterson Institute for International Economics, qui publie des études sur l’efficacité des sanctions depuis plus de 25 ans, estime dans un examen de 204 régimes de sanctions économiques entre 2007 et 2014 que seulement 34% des sanctions ont atteint leur objectif. Ces mesures ont tendance à créer des effets plus importants pour les pays d’origine que pour ceux de destination des sanctions d’autant plus quand les relations commerciales et économiques entre les deux blocs de pays sont étroites. La mondialisation économique et la finance internationale, avec la réduction des importations de produits énergétiques en provenance de Russie et le gel des comptes courants et d’autres types de restrictions financières activés jusqu’à présent, ont contribué à augmenter le coût des sanctions mais aussi à faire chuter les exportations de nombreux biens et services des pays, notamment européens, qui font du commerce avec la Russie. Bien que les sanctions se soient souvent révélées inefficaces, c’est l’arme dont l’Occident a fait le plus usage dans les différends internationaux qui ont surgi avec des pays comme l’Iran, la Russie, la Corée du Nord, Cuba, le Venezuela, la Chine.

Les considérations qui ressortent de la lecture des études qui ont traité de cette question restent valables (Lebrun-Damiens, Allard 2012 ; Felbermayr et al. 2020 ; Hufbauer, Hogan, 2022) : 1) les effets des sanctions ne peuvent être généralisés mais doivent être étudiés au cas par cas; 2) les coûts des sanctions introduites pour des secteurs spécifiques, comparés à ceux à caractère universel qui affectent toutes les activités de production, sont principalement concentrés sur les entreprises opérant dans ces secteurs ; 3) les sanctions tendent à être plus efficaces si elles s’accompagnent de sanctions définies comme « secondaires » car elles visent à affecter les actifs financiers individuels et les entreprises ou à pénaliser les individus qui font des affaires avec l’État sanctionné ; 4) les sanctions sur les matières premières et les biens industriels importants, précisément en raison du rôle qu’ils jouent dans le commerce mondial, comme dans le cas du gaz, du pétrole brut et des produits raffinés, ont tendance à être moins efficaces parce que l’État sanctionné peut les éluder en redirigeant les exportations vers les pays qui se sont déclarés neutres; 5) les sanctions économiques doivent être évaluées sur le long terme mais l’allongement de l’horizon temporel accroît la difficulté d’estimer à la fois les risques découlant de l’apparition d’effets indésirables sur la population civile (pénurie de produits de première nécessité et de médicaments, effondrement de la monnaie, croissance des prix, augmentation de la pauvreté), à la fois parce que les sanctions tendent à renforcer les États gouvernés par des régimes autocratiques et totalitaires et parce que le risque d’une escalade des armes offensives utilisées augmente.

Pour donner une réponse complète à la question de savoir s’il était possible de recourir à des sanctions différentes et/ou supplémentaires à celles activées par l’UE et les principales économies avancées, nous devons examiner plus en détail trois situations interdépendantes: les raisons du conflit, les crimes commis par la Russie dans les régions occupées, les réactions des institutions internationales et des États la plus influente suite à l’invasion de l’Ukraine.

Partons des raisons du conflit russo-ukrainien, c’est-à-dire depuis février 2014 lorsque la Russie envahit puis annexe, après le référendum farce de mars 2014, la Crimée, une région à majorité russophone restée en Ukraine après la dissolution de l’Union Soviétique. En réalité, le conflit russo-ukrainien est né sous la présidence Yanoukovitch (2010-2014) entre partisans pro-russes présents surtout dans les régions de Donetsk et Lougansk, à l’est du pays, habitées par 3,7 millions d’habitants, et les défenseurs pro-occidentaux pour une alliance de l’Ukraine avec l’UE, auxquels se sont ajoutés des groupes nationalistes et fascistes de droite qui ont conduit au soulèvement de Maïdan (du nom de la place principale de Kiev où se déroulaient la plupart des manifestations anti-russes) et à l’éviction du président Yanoukovitch du pouvoir. C’est à la suite de cet événement que des groupes armés pro-russes, soutenus par Moscou, prennent le contrôle des bâtiments gouvernementaux des deux régions, déclarent l’indépendance de l’Ukraine et convoquent un référendum au cours duquel la majorité vote pour l’annexion à la Russie (mai 2014). La Russie, dans une tentative de maintenir son influence dans les deux régions et de faire en sorte que l’Ukraine se retire d’une éventuelle adhésion à l’OTAN, envoie ses soldats à la frontière sud avec l’Ukraine. Les années 2014 à 2021 voient le lancement de diverses tentatives pour mettre fin au conflit qui a éclaté dans la région du Donbass, la première avec les accords signés entre l’Ukraine, les séparatistes pro-russes, la Russie et l’OSCE (septembre 2014) et le second avec les accords de Minsk, signés par la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France en 2015, qui ne conduiront pas à l’arrêt des hostilités dans les deux régions, restant de facto non appliqués.

L’invasion des troupes russes, qui a commencé le 24 février 2022 avec l’objectif de reprendre le contrôle politique et militaire de l’Ukraine, marque le début d’un conflit armé qui, en peu de temps, un an s’est écoulé, a entraîné des pertes humaines et économiques énormes, des milliers de morts et de blessés civils et militaires, des milliers d’Ukrainiens déportés vers la Russie, 6,5 millions de déplacés internes et plus de 4 millions d’Ukrainiens fuyant le pays, la destruction de villes entières, de villages, d’infrastructures de transport, d’habitations civiles, de bâtiments publics, d’usines, établissements de santé, théâtres, centrales électriques pour un total de dégâts estimé par la Kyiv School of Economics à plus de 250 milliards de dollars. Les coûts de reconstruction du pays s’élèveront à des montants bien plus substantiels que ceux-ci. L’OCDE estime que les dommages économiques résultant de la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, et en général des principales matières premières, la chute du PIB et la hausse de l’inflation, entraînent des coûts économiques dans les pays en guerre et le reste du monde estimé à plus de trois mille milliards de dollars.

En février 2022, suite à l’invasion russe, l’Ukraine, alors que les deux États en conflit ont signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, a présenté un recours devant la Cour Internationale de Justice (CIG) visant à faire valoir l’illégitimité de l’invasion motivée par la Russie par la nécessité de mettre fin au « génocide de millions de personnes vivant à Louhansk et Donetsk » et a demandé aux juges de La Haye d’adopter des mesures pour la suspension immédiate des opérations militaires entreprises par la Fédération de Russie responsables des nombreuses victimes civiles et militaires suite au bombardement de villes ukrainiennes. Comme on le sait, la Cour a accueilli l’appel de l’Ukraine, rejeté l’objection soulevée dans le mémoire de défense de la Russie, à savoir l’incompétence de la Cour, reconnu que l’opération militaire spéciale causait des dommages irréparables à la vie, aux droits de propriété des citoyens et à l’environnement d’Ukraine.

En ce qui concerne les crimes de guerre commis par les troupes russes, comme en témoigne la découverte de nombreux charniers de centaines de soldats et de civils torturés et tués à Bucha, Izyum, Borodyanka, Makariv et d’autres villes récemment libérées par l’armée ukrainienne, l’Ukraine, bien que n’étant pas partie à la Convention, a soumis deux déclarations en 2014 et 2015 pour accepter la compétence de la Cour Pénale Internationale pour les crimes commis par la Russie sur son territoire. En février 2022, le Procureur de la Cour Pénale Internationale de La Haye, Karim Khan, lançait l’initiative contre les crimes commis par les troupes russes arguant qu’il y avait « une base raisonnable » pour penser que les crimes relèvent de la compétence de la Cour.

La Cour pénale internationale (CPI) a émis, vendredi 17 mars 2023, un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, pour le crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens.

Les faits sont connus et je n’ai pas besoin d’en dire plus. Aurait-on pu faire plus pour arrêter l’invasion, prévenir les crimes commis par les troupes russes et éviter à l’Europe et à une grande partie du monde occidental le défi le plus sérieux à la stabilité économique, politique et militaire de ces dernières décennies ?

 

Recours à l’ONU et au Conseil de Sécurité

L’invasion de l’Ukraine a représenté une violation flagrante de l’article 2 (paragraphe 4) de la Charte des Nations Unies qui interdit l’usage de la force « que ce soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, ou de toute autre manière incompatible avec les objectifs des Nations Unies« . Les raisons invoquées par le Président Putin le jour de l’invasion pour justifier l’intervention armée, le recours à la légitime défense selon les dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations Unies pour les crimes contre l’humanité commis par l’armée ukrainienne dans le Donbass, non seulement  n’ont aucune base morale et légale mais constituent une violation des normes internationales que tous les États membres des Nations unies, dont la Russie, ont approuvées[1].

Le recours au pouvoir de veto a une histoire ancienne qui précède la décision prise par les États-Unis de créer, à la fin de la Seconde Guerre mondiale et avec les pays vainqueurs, une instance internationale de défense de la paix et de la sécurité collective ayant un rôle et une organisation différente de la Société des Nations, à laquelle les États-Unis n’ont jamais participé. Ce n’est pas utile de rappeler ici toutes les tentatives de réforme de la Charte des Nations unies qui ont jusqu’à présent échoué en raison du rapport de force antagoniste entre les cinq États membres disposant d’un siège permanent au Conseil de Sécurité (CdS) et du pouvoir de véto. Et pourtant on ne peut manquer d’évoquer l’incohérence temporelle, qui s’est creusée au fil des années avec l’augmentation du nombre d’Etats membres de 50 à 193, entre les objectifs ambitieux et les principes définis par les premiers articles de la Charte que les pays membres doivent respecter et le pouvoir décisionnel du Conseil de sécurité presque complètement paralysé, surtout lorsqu’il est appelé à défendre les objectifs et les principes fondateurs qui sont à la base même de l’Organisation des Nations Unies.

Le droit de veto, depuis 1945, a été utilisé 295 fois, 143 fois par la Fédération de Russie, 86 fois par les États-Unis, 32 fois par le Royaume-Uni, 18 fois par la France, 16 fois par la Chine. La France et le Royaume-Uni n’ont pas utilisé leur droit de veto depuis décembre 1989, date à laquelle, avec les États-Unis, ils ont opposé leur veto à la condamnation de l’invasion américaine du Panama.

Mais la France a fait quelque chose de plus que les 4 autres pays disposant d’un droit de veto. En 2013, elle a présenté une proposition pour un engagement volontaire et collectif des cinq membres permanents du Conseil de ne pas recourir au veto en cas d’actes manifestes d’atrocités de masse. Par la suite, le Président de la République française François Hollande lors de la 70e Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2015 a confirmé que la France ne recourrait plus au droit de veto dans les résolutions du Conseil de sécurité concernant les situations d’atrocités confirmées comme le génocide, les crimes contre l’humanité, des crimes de guerre à grande échelle. L’initiative de la France, menée conjointement avec le Mexique, a été soutenue par 106 pays membres des Nations Unies.

Le recours à l’ONU, la plus importante organisation de défense de la paix et de la sécurité internationale, aux dispositions de la Charte fondatrice approuvée en 1945 et aux résolutions du CdS, seul organe habilité à décider du recours à la force dans les relations entre États, bien que dans des conditions précises ou autorisées comme le prévoit l’article 39 du Chapitre VII, a donné un résultat négatif.

Une première résolution proposée par l’Albanie et les États-Unis au CdS (février 2022) pour la condamnation de l’agression militaire de la Russie, l’exhortation à cesser le recours à la force et à « se retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires » de l’Ukraine, en violation de l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies, après avoir été approuvée par 81 Etats membres et le CdS avec 11 pays membres sur 15 et 3 abstentions (Chine, Inde, Emirats Arabes Unis) a été bloquée par vote négatif de la Russie. La proposition de résolution condamnait également les annexions des 4 régions ukrainiennes après les référendums jugés illégaux organisés dans ces régions (Donetsk, Luhansk, Zaporijia et Kherson).

Une deuxième résolution du CdS (mars 2022) de condamnation pour l’invasion de l’Ukraine et la cessation de la guerre, intervenue après le discours de Putin à la Nation annonçant le début de l’opération militaire spéciale, a été rejetée pour l’appel du droit de veto de la Russie. Cependant, le Conseil de sécurité a décidé d’investir l’Assemblée Générale dans une session d’urgence qui a abouti à la résolution intitulée « Agression contre l’Ukraine » approuvée avec 141 voix pour, 35 abstentions et 5 contre (Russie, Biélorussie, Corée du Nord, Syrie et Erythrée).

Une résolution (avril 2022) avec la demande des États-Unis de suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme à Genève, a été approuvée par l’Assemblée Générale avec une majorité des 2/3 des États membres votant, 93 pour, 58 abstentions et 24 voix contre (dont Russie, Chine, Cuba, Corée du Nord, Iran, Syrie, Vietnam).

En avril 2022, une nouvelle résolution adoptée par l’Assemblée Générale et parrainée par 86 États membres avec la demande aux cinq membres permanents du CdS de justifier l’usage du veto, résolution qui a vu le soutien de la France, du Royaume-Uni et les Etats-Unis, n’a pas beaucoup changé la situation car la résolution n’est pas contraignante et rien n’oblige un Etat à se justifier.

Une nouvelle proposition de résolution (septembre 2022), présentée par l’Albanie et les États-Unis, demandant de ne pas reconnaître les régions annexées par la Russie et de « retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires » du territoire ukrainien, a obtenu le vote favorable de 10 des 15 Etats membres du CdS, 4 abstentions (Brésil, Chine, Gabon et Inde) et le vote contre de la Russie.

Le 24 février 2023, l’Assemblé Générale des Nations Unies a adopté, lors d’une session extraordinaire, une résolution pour la « cessation des hostilités » et visant à « exiger » que la Russie « retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays ». Un vote conforme aux précédentes résolutions de l’ONU, 141 votes pour, 32 abstentions, 7 contre (Russie, Bélars, Syrie, Corée du Nord, Mali, Nicaragua et l’Erythrée).

Le conflit en Ukraine a rouvert avec force le débat sur l’exercice du droit de veto mais, à la lumière de la situation brièvement résumée ici et considérant qu’une réforme à court terme de la Charte est peu probable, la possibilité d’obtenir une résolution internationale pour arrêter la guerre et voir la Russie retirer ses troupes d’Ukraine semble très limitée.

La composition du Conseil de Sécurité, qui est restée inchangée depuis 1945, sauf en ce qui concerne le nombre de pays membres non permanents, et sa capacité de décision limitée dans la défense de la paix et dans la gestion des conflits, ont conduit beaucoup à considérer que cette institution n’a plus ni l’autorité pour accomplir les tâches qui lui sont confiées par la Charte, ni la légitimité de représenter et défendre la sécurité des 193 États membres des Nations Unies.

Continuer à défendre l’Ukraine en envoyant non seulement une aide économique mais des armes de plus en plus sophistiquées, ce qui conduira inévitablement la Russie à répondre avec des instruments offensifs toujours plus puissants et avec la mobilisation de centaines de milliers de soldats russes pour défendre les territoires conquis, peut-être une mesure nécessaire pour confirmer la solidarité et l’assistance de l’Occident contre l’agression russe et pour réaffirmer le respect du droit international, mais pas suffisant pour arrêter la guerre.

C’est la politique et la diplomatie qui doivent intervenir de manière plus décisive et crédible en multipliant et en renforçant les initiatives lancées au niveau international (ONU, UE, G7, G20) pour mettre fin à la guerre, en proposant des solutions pour arrêter le conflit en favorisant, avec la participation de sujets du droit international qui garantissent la neutralité et l’impartialité, la reprise des négociations désormais interrompues entre les deux États en guerre. Mais il faut aussi que ces interventions, pour ne pas se résigner à l’idée que le conflit en Ukraine ne peut pas s’arrêter parce qu’il est soutenu, ou en tout cas pas entravé, par des pays qui critiquent ouvertement la politique des États-Unis et de l’OTAN, s’accompagnent de manifestations de soutien pour le peuple russe, afin qu’il ne soit pas entraîné par le régime actuel dans une guerre qui pénalise sévèrement son économie et détruit ses perspectives d’avenir. Des appels à toute la société civile et aux institutions nationales, européennes et internationales sont nécessaires afin qu’ils manifestent leur solidarité dans la défense de l’État de droit, le principe de la responsabilité collective à partager pour garantir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tout État.

Cette situation de guerre  ne verra pas de fin à court terme et  « n’aura pas de vainqueurs », comme l’a dit Amin Awad, l’envoyé spécial de l’ONU en Ukraine au 100e jour du conflit d’où l’importance que des espaces d’interventions puissent être ouverts par des organisations internationales et des États qui, en raison de leur histoire, des succès obtenus jusqu’à présent et des engagements pris au niveau international, ont l’autorité et la légitimité pour demander le rétablissement de la paix et assurer une protection internationale en cas de génocide ou d’autres massacres ou violations graves des droits de l’homme.

 

Menaces pour la sécurité européenne: le rôle de l’UE et de la France

L’UE est certainement l’une des instances internationales les plus importantes. Elle est le principal contributeur financier, avec les États membres, au budget général de l’ONU et est l’organisation régionale la plus avancée et la plus démocratique au monde avec une structure de gouvernance institutionnelle unique constituée aujourd’hui de 27 États membres qui ont volontairement adhéré à son règles de fonctionnement (l’acquis communautaire), à ​​son modèle d’intégration et dont les citoyens élisent leurs représentants au Parlement européen depuis 1979, qui dispose de pouvoirs de contrôle démocratique sur les institutions européennes et de codécision, avec le Conseil, sur la quasi-totalité des secteurs de compétence de l’UE.

L’UE a obtenu le statut d’observateur permanent à l’Assemblée générale en 1974 et depuis 2011 a le droit de s’exprimer devant l’AG, premier parmi les autres groupes présents au siège de l’ONU, et peut donc prendre des mesures pour mener des actions partagées avec les États membres pour mettre fin à la guerre en Ukraine et rétablir la paix. La même faculté d’intervention au sein de l’AG est également accordée aux institutions de l’UE – le Président du Conseil Européen, le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, la Commission européenne et la délégation de l’UE ».

La guerre en Ukraine représente un fort élément d’instabilité et une menace directe pour la sécurité de l’UE, celle des États membres et des États du voisinage oriental et occidental, à laquelle une réponse forte et unifiée doit être apportée comme le prévoit le Traité de Lisbonne. Dans le rapport annuel 2022, le Parlement européen s’est exprimé ainsi :  » la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et les violations graves et massives, les crimes de guerre et les violations intentionnelles des droits de l’homme et des normes fondamentales du droit international par la Fédération de Russie ont mis en évidence la nécessité d’une action et d’une présence de l’Union plus forte, plus ambitieuse, plus crédible, plus stratégique et plus unifiée sur la scène mondiale»

C’est dans ce rôle que l’UE, en accord avec ses institutions et les États membres, dont certains sont directement menacés par le conflit russo-ukrainien et dans le cas de l’Europe de l’Est par la politique expansionniste de la Russie de Poutine (Moldavie, Géorgie), peut présenter des propositions et des amendements pour appeler à un plus grand engagement dans les actions de prévention des conflits et les opérations pace-keeping menées par les Nations Unies et demander aux membres permanents du CdS de respecter les obligations découlant des articles de la Charte (article 2 paragraphe 3 et 4 ; article 24 paragraphe 1 ; article 27 paragraphe 3).

Une autre action de l’UE consiste à demander à l’Assemblée Générale des Nations Unies de reprendre avec force le débat sur la nécessité d’assurer, en particulier lorsque le CdS n’est pas en mesure d’agir conformément aux dispositions de l’art. 10 et 11 de la Charte, que les décisions prises par 2/3 des États membres, bien qu’initialement rejetées par un ou plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité, peuvent être reproposées et validées dans des résolutions ultérieures. Nous nous référons ici en particulier à la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies de mars 2022 qui, réunie en session d’urgence, a condamné l’intervention russe à une écrasante majorité et imposé la cessation des hostilités.

Cette résolution a un précédent important, la résolution 377A adoptée par l’Assemblée Générale en 1950 lors de la crise coréenne, Uniting for peace, par laquelle, remplaçant le Conseil incapable de décider faute d’unanimité des membres permanents, elle a décidé de se réunir en « session extraordinaire d’urgence » pour prendre des mesures urgentes, y compris le recours à la force armée si cela est jugé nécessaire pour le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.

L’Union européenne, avec les États membres et les Nations Unies, doivent exercer une action décisive pour sensibiliser l’Assemblée Générale à faire adopter une nouvelle résolution Uniting for peace en session extraordinaire d’urgence visant à éviter les risques de conflit qui pourraient conduire à la menace nucléaire et de demander l’adoption immédiate des mesures prévues par le Chapitre VI de la Charte pour le règlement pacifique des différends (telles que la désignation d’un « représentant spécial » pour la médiation, le recours aux organisations ou accords régionaux, la saisine de la Cour de la justice internationale, recommander des procédures ou des modes de règlement appropriés, etc.).

Un deuxième sujet politique important est la France, le seul État de l’UE qui est membre permanent du Conseil de Sécurité et qui a apporté une contribution significative au débat sur le droit de veto en renonçant à son utilisation en 2015 lors des résolutions concernant les crimes et les atrocités de masse. La France est aussi le pays qui, avec la Chine, a le moins utilisé le veto (18 fois), qui ne l’a pas utilisé depuis plus de 25 ans et qui travaille depuis longtemps à rendre plus transparente l’action du CdS et à réduire au maximum les ingérences politiques lorsque la défense de ce qui est perçu comme les valeurs fondatrices de la communauté internationale est en jeu.

Dans l’intention de favoriser l’adoption de recommandations visant à accélérer la prise en charge par les membres permanents du CdS d’une responsabilité collective dans les matières susceptibles de mettre en danger la paix et la sécurité internationales, la France, avec l’appui du pays membre non permanent du CdS représentant l’Europe de l’Ouest (actuellement et jusqu’en 2024 c’est Malte) et des États de l’Union peuvent promouvoir des actions visant à :

  • favoriser la reprise des négociations entre les parties en conflit mais en demandant avec la participation et la médiation des organisations internationales e des Etats qui ont fait la preuve de leur autorité et de leur neutralité, proposant également un éventuel élargissement des négociateurs aux pays qui se sont déclarés disponibles pour la médiation (Chine, Turquie, Israël)
  • exercer son influence en tant que membre permanent du Conseil pour convenir avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne des actions à proposer au Conseil pour la condamnation des Etats membres qui ont commis des actes d’agression ou de violation de la paix et/ou des actions contraires aux principes de justice et de droit international
  • promouvoir des initiatives permettant de dialoguer avec le peuple russe et de communiquer la solidarité de la population européenne en faveur de solutions diplomatiques pouvant conduire à la fin de la guerre et au retrait simultané de toutes les sanctions
  • promouvoir avec les États membres une ou plusieurs journées européennes d’opposition à l’invasion de l’Ukraine et en faveur de la paix qui se tiendront dans les principales villes de l’UE en demandant à tous ceux qui partagent la défense de relations amicales entre les nations fondées sur le respect et les principes de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples – citoyens, partis politiques, syndicats des travailleurs, des associations laïques et religieuses, familles et jeunes de tous âges – à descendre dans la rue dans une manifestation pacifique, silencieuse, sans drapeaux ni symboles des partis contre la guerre de Putin.

La réponse à la guerre de la Russie ne doit pas consister uniquement en des sanctions économiques et l’envoi d’aide économiques et d’armes, mais nécessite une stratégie partagée avec les Institutions et les régimes politiques démocratiques qui ont fermement et sans hésitation exprimé leur condamnation de l’invasion de l’Ukraine. Il faut aussi que soient activées des solutions politiques et diplomatiques qui puissent conduire à une augmentation des Etats qui partagent ces initiatives, et il faut aussi étendre le front d’opposition représenté par la société civile, en premier lieu européenne, et par ceux qui ne veulent pas abandonner la population ukrainienne et russe aux sacrifices et aux pertes humaines et économiques causées par la guerre.

 

[1] La Cour internationale de Justice elle-même, l’organe judiciaire principal des Nations Unies, en ce qui concerne le droit individuel et collectif à la légitime défense (article 51), s’est prononcée à plusieurs reprises en déclarant que le droit à la légitime défense armée doit respecter les paramètres de nécessité, de proportionnalité et de non-violation du droit international humanitaire.

 

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