Réflexions autour du Brexit

Philippe Laurette

Actualité

8 mai 2021


Après des siècles de conflit et les atrocités de la deuxième guerre mondiale avec ses millions de morts et ses camps de concentration quelques européens éclairés, dont Jean Monnet, ont réussi à convaincre des politiques de bâtir et développer une communauté européenne devenue Union européenne. L’idée simple et toujours d’actualité est de résoudre pacifiquement les conflits, qu’on est plus efficace à plusieurs que tout seul que ce soit à l’Organisation mondiale du commerce, dans le soutien à des programmes de recherche ou dans la négociation d’accords avec des pays ou zones économiques. Les délégations de pouvoir au niveau européen sont librement consenties. Le peuple s’exprime et a un pouvoir de codécision grâce à l’élection du Parlement européen au suffrage universel.
L’intérêt commun européen est recherché, proposé et sauvegardé par la Commission européenne et le droit est respecté par tous avec la vigilance de la Cour européenne de justice.


Cette Europe fait beaucoup envie à l’extérieur et de nombreux pays manifestent régulièrement leur désir de rejoindre cet havre de paix et de richesse.
Ils rêvent d’une justice indépendante, de bénéficier de politiques structurelles tels la politique agricole commune, le fonds européen de développement régional, le fonds social européen favorisant les pays les moins développés et la possibilité de sortir des carcans nationalistes tout en respectant la devise européenne : Uni dans la diversité.


L’Europe depuis le traité de Paris sur la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951, les traités de Rome sur les communautés européennes de 1957 a beaucoup changé et s’est développé.


La lucidité impose de dire que paradoxalement l’Europe-enthousiasme à l’exception de la période autour de la création du marché intérieur en 1993 sous la présidence de Jacques Delors n’est pas au rendez- vous alors que nous vivons une période clef où nos valeurs fondamentales peuvent être remises en cause. Le non en 2005 au référendum sur le traité constitutionnel en France et aux Pays Bas en est une illustration. Le résultat du référendum en 2016 qui donne au Royaume Uni le oui au brexit gagnant par 51,9% en est une autre. C’est la première fois que le mouvement continu d’élargissement est arrêté. C’est un revers important pour le projet européen car le Royaume Uni est un pays qui compte à l’échelle de l’Europe. Le quotidien mexicain El Universal résume bien la situation dans un éditorial. “Les pays membres de l’Union européenne sont une référence pour le monde occidental pour les avancées qu’ils ont connues en matière de bien-être, de droits humains ou de qualité de vie”. Le journal regrette que la victoire du camp pro-Brexit menace la construction européenne et fasse “vaciller l’un des modèles les plus aboutis d’intégration, dans ce monde contemporain multipolaire où la construction de blocs est une tentative pour consolider des intérêts communs”. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Chaque pays a une histoire, une culture, des traditions, des spécificités.
L’état d’esprit britannique est particulier et très ancré : celui d’habitants d’une île qui considèrent que l’Europe c’est le continent.


Ce pays a un passé prestigieux. Il fut la première puissance mondiale militaire, industrielle, commerciale et économique. Il domine les mers dès le milieu du 18ème siècle avec une flotte militaire et une flotte de commerce impressionnante ce qui lui permet de ne pas connaître d’invasions et de limiter les conséquences des blocus économiques. Il profite d’être le lieu de création de la première révolution industrielle. Thomas Newcomen invente la machine à vapeur en 1705, la machine à tisser mécanique verra le jour en 1769 et en 1804 c’est le premier essai d’une locomotive à vapeur. La livre sterling joue le rôle de monnaie internationale au 19ème siècle. Sur le plan politique dans les relations extérieures c’est simple toujours éviter qu’un autre pays domine l’Europe : que cela soit l’Espagne, la France, l’Autriche, la Prusse ou la Russie.


L’empire britannique à son apogée en 1922 comptait 400 millions d’habitants soit le quart de la population mondiale et environ 22% des terres émergées.


Le RU a réussi à n’être envahi ni par Napoléon ou Hitler et a été l’un des grands vainqueurs de la deuxième guerre mondiale en 1945 en qui nous avons tous une dette mais le pays à ce moment-là est épuisé, quasiment ruiné, perd au fur et à mesure une partie de son empire, voit sa puissance à l’échelle internationale être minorée avec comme point d’orgue le fiasco de l’expédition de Suez en 1956.
Dorénavant avant l’éveil chinois ce sont les USA et l’URSS qui dominent seuls le monde et l’Allemagne redevient progressivement une grande puissance économique.


Trois caractéristiques britanniques permettent d’éclairer les relations entre le RU et l’Europe à partir de 1946. La croyance dans la supériorité du libreéchange, le rejet du protectionnisme et des politiques industrielles. La relation particulière avec les USA. Le pragmatisme.


Le RU ne croit pas du tout au succès de la CECA en 1951 et apprécie peu la réintégration de l’Allemagne. Suite à la création de la CEE en 1957, il lance en 1960 l’AELE composé avec eux de 6 autres pays le Danemark, la Norvège, la Suisse, le Portugal, l’Autriche et la Suède mais comme la CEE est un succès économique, il pose le 9 aout 1961 sa première candidature d’adhésion à la CEE. Pour Jean Monnet : « les anglais respectent les faits. S’ils veulent rentrer dans le marché commun, c’est parce que nous avons réussi ». L’adhésion prendra du retard suite aux deux vétos du général de Gaulle en janvier 1963 et novembre 1967. Le président Georges Pompidou plus anglophile débloquera la situation et permettra l’adhésion au 1 janvier 1973. Un référendum au RU en juin 1975 donnera un oui à 67,2% pour rester dans l’Europe. Les ambiguïtés demeureront car le RU supporte mal que l’Europe permette à l’Allemagne de redevenir une puissance normale et forte économiquement, à ce que l’Europe soit beaucoup plus qu’une zone de libre-échange. Elle n’est guère favorable aux différentes institutions européennes et déplore les politiques communes de solidarité financées sur le budget européen.

Il est à noter que les deux grands partis conservateur et travailliste ne seront jamais unanimes sur l’Europe et que leurs positions évolueront avec le temps. Margaret Thatcher conservatrice était à ses débuts pro européenne mais une fois au pouvoir elle demande un rabais au budget européen dès novembre 1979 et l’obtient au sommet de Fontainebleau en mai 1984. Elle s’opposera systématiquement à toute évolution fédérale de l’Europe et obtiendra suite au traité de Maastricht en février 1992 un opt out pour ne pas rejoindre la monnaie unique. Elle ne signera pas non plus les accords de Schengen sur la libre circulation des biens et des personnes en 1985. En 1988 elle prononce son discours de Bruges qui consacre sa vision d’une Europe des Etats- nations. En 2004 avec Tony Blair premier ministre travailliste qui se présente comme un ami de l’Europe l’élargissement de l’Europe à 10 nouveaux pays est vivement encouragé. L’objectif est double intégrer des pays d’Europe centrale et orientale et mettre des obstacles à l’intégration communautaire. Le pays fera également tout son possible pour bloquer toute politique de défense et de sécurité. Toujours le souci constant d’apparaître comme le partenaire privilégié des Etats Unis, la fidélité absolue à l’OTAN et le soutien jusqu’au-boutiste dans la guerre du Golfe. Pendant la crise économique David Cameron premier ministre conservateur refusa en 2011 un traité budgétaire qui aurait porté atteinte selon lui à la City.

Le pragmatisme britannique, cette autre caractéristique, fait des merveilles dans les institutions bruxelloises. Le lobbying est exercé avec brio, habileté et professionnalisme. Le RU profite des élargissements qui imposent la langue anglaise au détriment du français qui était exotique pour les nouveaux entrants à l’exception de la Roumanie. Elle promeut son modèle de pensée, d’expression qui est clair, précis et direct et se dote de moyens efficaces de suivi. Elle essaye de placer ses hommes ou ses femmes à tous les échelons pertinents dans les directions générales de la Commission européenne avec pour but de protéger la City, ses institutions financières, ses compagnies d’assurances, son modèle de pensée. Malheureusement pour elle une manœuvre de politique intérieure du premier ministre Cameron va mettre à mal tous ses succès avec le référendum sur le brexit. Il pensait obtenir un non, il a récolté un oui. Le RU se tire une balle dans le pied.

Ce résultat était inattendu. L’essentiel des rapports du patronat, des syndicats, des centres d’études y compris universitaires, de la banque d’Angleterre, des chambres de commerce expliquaient que voter pour le brexit serait une erreur. Une conjonction anti Europe puissante a réussi à se mettre en place. Elle bénéficie de l’appui de la grande majorité de la presse populaire, du leader de l’UKIP (UK Independence Party), orateur brillant Nigel Farage, de nombreux réseaux sociaux dont certains bénéficient d’aides techniques et financières importantes des Etats Unis ou de la Russie et des conservateurs opportunistes à la recherche du pouvoir Boris Johnson étant l’exemple type qui rejoignent les eurosceptiques historiques fidèles à la ligne Thatcher. Ils surfent sur un sentiment profond anti élites, anti sachants des classes populaires, sur les ressentis d’abandon au sein de régions rurales ou anciennement industrielles, sur les désengagements budgétaires et sociaux des services publics, sur l’hostilité des pêcheurs, sur les retraites fragilisées et le sentiment général de déclassement. L’avenir considéré comme plus sombre en particulier pour ses enfants. La nostalgie du passé glorieux, de l’Empire est magnifiée par la presse populaire qui est très bien diffusée. Elle ne fait pas dans le détail, aucune nuance, de gros titres mensongers : l’Europe est systématiquement présentée comme le malheur, le renoncement à l’intérêt national, la prise de contrôle par des technocrates européens et l’étranger. Les migrants seraient coupables d’invasion, de remplacement, de prise indue des emplois, même les polonais blancs et catholiques sont visés.

Que constate t’on ?


Le vote puis les sondages réalisés depuis indiquent que le clivage profond dans le pays n’a pas disparu. Le brexit a le soutien des campagnes, des banlieues, des ouvriers, des peu diplômés et des personnes âgées, de l’Angleterre et du pays de Galle. Restent fidèles au remain: les villes dont Londres, les personnes
éduquées, beaucoup de dirigeants de grandes entreprises, l’Ecosse, l’Irlande du nord, les jeunes.

On aura ainsi pu assister à Londres à des manifestations gigantesques à l’échelle du pays avec la présence de milliers de drapeaux européens.


Il n’y a pas eu d’effet domino bien au contraire le brexit apparait toujours aux autres Etats membres comme un repoussoir. Leurs opinions publiques y sont défavorables. Ils ne souhaitent pas en particulier perdre les financements européens. On constate également une meilleure perception de l’Europe par les citoyens européens.


Des avancées significatives impensables avec la présence du RU se produisent tel le plan de relance exceptionnel de 750 milliards décidé le 21 juillet 2020 par les chefs d’Etat et de gouvernement pour surmonter la crise de la covid…


Les autres difficultés prévues sont au rendez- vous malgré l’accord postbrexit : le RU semble ne pas vouloir respecter ses engagements sur l’Irlande du Nord et une épreuve de force s’engage avec l’Europe.


Les entreprises britanniques en particulier les PME exportant vers l’Union européenne subissent le coût engendré par les formalités douanières. La place financière de Londres est fragilisée. L’Ecosse qui veut rester dans le marché unique européen souhaite un nouveau référendum pour une sortie du RU.

Sur le plan politique Keir Starmer leader travailliste pro- européen a remplacé Jeremy Corbyn qui avait fait une campagne très tiède pendant le référendum.

Le premier ministre Boris Johnson reste toujours aussi imprévisible. Il met en avant le global Britain, l’importance de la région Indo Pacifique, l’augmentation du nombre des ogives nucléaires. Il veut donner des gages au président Biden mais celui-ci n’a pas oublié qu’il avait soutenu Trump. Il faudra cependant encore du temps pour juger avec le recul nécessaire de la situation réelle du RU, de son positionnement, de son influence au niveau international et évaluer l’état de son économie.


Il faut espérer et encourager un murissement de l’opinion britannique qui favorise le moment venu le retour du RU dans l’Union européenne avec l’ambition d’aider à l’émergence d’une véritable puissance Europe.

NEWSLETTER DE L’ACADÉMIE YUSTE Nº 6 Juin 2021

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